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Spirométrie en médecine générale

Pourquoi intégrer la spirométrie en médecine générale ?

Les maladies respiratoires chroniques touchent près de 550 millions d’adultes dans le monde et figurent parmi les principales causes de mortalité. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est aujourd’hui la quatrième cause de décès au niveau mondial¹.

En France, on estime que 75 % des patients atteints de BPCO ne sont pas diagnostiqués². Ce sous-diagnostic s’explique par la difficulté d’accès à l’examen de référence, la spirométrie. À ce jour, cet outil de diagnostic est encore trop souvent réservé aux pneumologues, alors qu’il pourrait parfaitement être déployé en soins primaires.

Dans cet article, découvrez pourquoi intégrer cet examen dans le quotidien des médecins généralistes pour l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) est un enjeu de santé publique.

Comprendre les principes de la spirométrie

Qu’est-ce que la spirométrie ?

La spirométrie est un examen non invasif qui permet de diagnostiquer un trouble ventilatoire obstructif (TVO), et d’apporter des arguments pour un trouble ventilatoire restrictif (TVR). Cette mesure des capacités respiratoires aide à quantifier la sévérité des pathologies et d’en suivre leur évolution naturelle ou sous traitement.


Pour être plus précis, la spirométrie aide à évaluer la capacité vitale (CV), quantité d’air contenue dans les poumons. On peut réaliser une CV forcée (CVF) en inspirant ou en expirant de manière intense, ainsi qu’une CV lente (CVL). Elle permet d’établir le ratio entre le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) et la CVF. Une diminution du rapport de Tiffeneau (VEMS/CV) est signe de TVO. Toutefois, pour établir un diagnostic il faut apprécier les valeurs en fonction de celles prédites. Ces dernières sont définies suivant l’âge, le sexe, la taille, le poids et l’origine ethnique.

SCHILLER : comprendre la spirométrie (version EN)

Les paramètres clés d’une spirométrie selon la Haute Autorité de Santé (HAS)

En Europe, les valeurs publiées par la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) sont celles communément admises et utilisées pour les adultes. 

PARAMÈTRES
DÉFINITION
INTERPRÉTATION
VEMS
Volume d’air expiré lors de la première seconde d’une expiration forcée après une inspiration maximale. Il reflète le calibre des voies aériennes.
Valeurs normales : dépendent de l’âge, du sexe, de la taille et de l’origine ethnique.

Interprétation :
• 80% de la valeur prédite : fonction pulmonaire acceptable.
• 79-71% de la valeur prédite : légère insuffisance (BPCO stade 1).
• 50-70% de la valeur prédite : insuffisance modérée (BPCO stade 2).
• 30-40% de la valeur prédite : insuffisance sévère (BPCO stade 3)
Suivi utile pour évaluer la réponse au traitement.
Si le rapport VEMS/CVF est normal mais que la CVF est < 80 %, cela peut suggérer un trouble restrictif (fibrose, sarcoïdose).

Une CVF diminuée peut également s’observer dans :
• les troubles obstructifs sévères (air piégé)
• les pathologies restrictives (fibrose, anomalies thoraciques)
Interprétation :
• Normal : 70–80 % • Réduit (< 70 %) : suggère une obstruction (asthme, BPCO, bronchite chronique)

Seuils diagnostiques :
• < 0,70 après bronchodilatateur : diagnostic de BPCO (GOLD)
• Amélioration du VEMS ≥ 12 % et ≥ 200 ml après bronchodilatateur : suggère un asthme

Les valeurs GLI pour l'interprétation des résultats selon la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF)

La SPLF, organe d’expression scientifique de la pneumologie francophone, affirme son soutien pour l’utilisation des valeurs de références GLI pour l’interprétation des résultats d’EFR. Ces valeurs sont basées sur une large population contemporaine. Elles suppriment la discontinuité entre les âges en assurant une transition homogène des valeurs de référence entre les enfants et les adultes. Pour l’analyse, un Z-Score se calcule pour chaque mesure qui garantit une interprétation plus précise et normalisée des résultats.

Valeur de référence (médiane) = 0 ; les scores entre -1,64 et + 1,64 correspondent aux valeurs normales, comprises entre les 5° et 95° centiles de la population.

Les courbes évocatrices d'un syndrome obstructif ou restrictif

Courbes spirométrie syndrome obstructif ou restrictif
Exemples de courbes débit-volume pathologique : en noir courbe normale, en rouge courbe pathologique.

Pourquoi la spirométrie en soins primaires est indispensable

Les médecins généralistes occupent une position stratégique dans le système de santé. Ils assurent un dépistage précoce et une prise en charge rapide des maladies respiratoires chroniques.


Grâce à la spirométrie, ils peuvent dépister et assurer le suivi des BPCO et des asthmes. Leur rôle est d’autant plus crucial que ces pathologies évoluent de manière insidieuse et restent longtemps asymptomatiques ou sous-diagnostiquées. En intégrant la spirométrie à leur pratique quotidienne, les généralistes peuvent prévenir les complications, améliorer la qualité de vie des patients et réduire les hospitalisations. Les sociétés savantes estiment que la spirométrie permet de diagnostiquer une BPCO jusqu’à 15 ans plus tôt.

Les symptômes évocateurs d’un trouble respiratoire obstructif

SYMPTÔMES
DÉTAIL CLINIQUE
SIGNIFICATION
Dyspnée
Effort ou repos, progressive
Premier symptôme de la BPCO ou d’un asthme
Toux chronique
> 3 mois, sèche ou grasse
Fréquente dans BPCO ou asthme
Surtout matinales
Typique chez les fumeurs ou bronchite chronique
Sifflements (wheezing)
À l’expiration
Souvent associé à l’asthme
Oppression thoracique
Non spécifique
Peut orienter vers un trouble obstructif
Infections respiratoires récidivantes
Bronchites à répétition
Signent une fragilité des voies aériennes

Les populations cibles pour un dépistage systématique

GROUPE CIBLE
CRITÈRES D'INCLUSION
JUSTIFICATION
Fumeurs ou ex-fumeurs
≥ 40 ans, ≥ 10 paquets-années
Risque accru de BPCO silencieuse
Profession à risque
Exposition à poussières, fumées, produits chimiques (agriculteurs, BTP, usine)
Risque de BPCO non tabagique
BPCO précoce, déficit en alpha-1 antitrypsine
Risque génétique
Patient asthmatique
Suivi régulier nécessaire
Ajustement du traitement & surveillance
Maladies chroniques associées
Insuffisance cardiaque, diabète, HTA
BPCO souvent associée et sous-diagnostiquée

Arbre décisionnel : quand réaliser une spirométrie ?

Présente-t-il des symptômes respiratoires chroniques ?

(dyspnée, toux, sifflements, expectorations)

Le patient est-il fumeur actuel ou ancien ?

(>10 paquets/années)

Réaliser une spirométrie pour rechercher une BPCO ou de l’asthme

Envisager d’autres causes de symptômes

Facteurs de risque présents ?

(Tabagisme, exposition professionnelle/pollution, antécédents familiaux de pathologies respiratoires)

Réaliser une spirométrie à visée de dépistage chez les patients à risque même sans symptômes

Mise en œuvre de l’examen en cabinet

L’intégration de la spirométrie en médecine générale implique une réflexion globale sur l’organisation du cabinet, la formation des professionnels, le choix du matériel et les modalités de facturation.

 

Pour garantir une pratique fiable et conforme aux recommandations, le généraliste doit :

  • acquérir les compétences nécessaires pour réaliser et interpréter l’examen,
  • s’équiper d’un matériel adapté,
  • connaître les conditions réglementaires de cotation.

Formation du personnel soignant

Se former à la spirométrie est aujourd’hui indispensable pour les médecins généralistes. Maîtriser cet examen leur permet non seulement d’améliorer la qualité du diagnostic, mais aussi de gagner en autonomie, en réduisant les délais d’orientation vers un spécialiste.


Une formation adaptée garantit la fiabilité des mesures et évite les faux diagnostics ou prises en charge inappropriées. En se formant, le généraliste valorise son rôle dans la prévention, le dépistage et le suivi des pathologies respiratoires, en cohérence avec les exigences actuelles de qualité des soins.


Les dernières recommandations de la HAS autorisent également les infirmiers de pratique avancée (IPA) à réaliser des spirométries sous protocole. Cela ouvre des perspectives d’intégration du test dans une organisation de soins coordonnée, sans alourdir la charge du médecin.

Choix du matériel pour l’examen

Il existe actuellement quatre types de spiromètres : pneumotachographe, à turbine, à ultrasons et à filaments thermiques. La Revue médicale suisse propose un tableau comparatif établit sur la base d’avis d’experts.

Spiromètre pneumotachographe
Spiromètre pneumotachographe
DESCRIPTIF
AVANTAGES
PRÉCAUTIONS
Le patient souffle à travers une résistance matérialisée soit par une membrane, soit par une structure de tuyaux parallèles (nid d'abeilles). L'appareil mesure la chute de pression durant l'expiration. Cette chute de pression est proportionnelle au débit.
• Débit laminaire/linéaire (surtout pour les structures en nid d'abeilles)
• Système connu de longue date (à souvent été utilisé dans les études)
Sensible aux conditions ambiantes (température, pression atmosphérique, condensation, dépôts) donc un thermostat indispensable.
Spiromètre turbine
Spiromètre turbine
DESCRIPTIF
AVANTAGES
PRÉCAUTIONS
Le flux respiratoire fait tourner une hélice qui entraîne une turbine. L'appareil enregistre la vitesse de cette rotation. Ce sont les seuls appareils à mesurer des volumes. Il existe des turbines fixes et des turbines à usage unique, l'utilisation d'un filtre est recommandée même pour ces dernières.
• Débit linéaire
• Moins sensible aux conditions ambiantes si l'hélice est en carbone ou en Kevlar
• Inertie et résistance intrinsèque impose une technologie sélectionnée (matériaux par exemple). Inertie augmentée par corps étrangers, salive... d'où calibration quotidienne tout de même recommandée
• Maintenance, nettoyage moins aisé et plus fréquent
• Moins fiable à bas débit donc sous-estimation possible de la capacité vitale (CV)
Spiromètre ultrasons
Spiromètre ultrasons
DESCRIPTIF
AVANTAGES
PRÉCAUTIONS
Le patient souffle dans le tube et deux capteurs ultrasoniques détectent la différence de fréquence d'ondes d'entrée et de sortie de l'aire (effet Doppler). Cette différence de fréquence détermine la vitesse de temps de transit qui permet de déterminer le débit.
• Stabilité/fiabilité (calibration)
• Thermostat non nécessaire
Consommables (pièces)
Spiromètre filaments thermiques
Spiromètre filaments thermiques
DESCRIPTIF
AVANTAGES
PRÉCAUTIONS
L'air expiré est plus chaud que l'air inspiré. Le patient souffle et les filaments se dilatent ou se rétractent sous cette différence de température. L'appareil enregistre le changement de résistance des filaments qui permet de déterminer le débit.
• Peu de résistance intrinsèque
• Moins sensible aux conditions ambiantes
• Débit linéaire moins garanti
• Fragilité des filaments, durée de vie
• Deux filaments sont nécessaires pour améliorer la fiabilité

Parmi ces dispositifs médicaux, certains appareils peuvent se connecter directement à un ordinateur, permettant une visualisation en temps réel des courbes de spirogramme. Cette fonctionnalité aide à évaluer la qualité de l’examen et à guider le patient en temps réel.

D’autres modèles sont interfaçables avec les logiciels métiers utilisés en médecine générale. Cela permet :

  • l’enregistrement automatique des résultats dans le dossier patient,
  • la suppression de la double saisie,
  • la réalisation d’actes de téléexpertise.

Cotation et facturation

À partir de janvier 2026, l’acte de spirométrie pourra être facturé en supplément de la consultation, comme pour l’ECG, sous certaines conditions définies par l’Assurance Maladie. Cette évolution vise à encourager les médecins généralistes à intégrer cet examen dans leur pratique.

 
Pour que la cotation soit valable, le médecin devra :

  • Justifier d’une formation certifiée,
  • Réaliser l’examen sur un patient à risque identifié : âgé de plus de 40 ans, ayant un antécédent tabagique significatif (au moins 20 paquets-années) et un score positif au questionnaire de dépistage BPCO de la HAS.

L’acte sera limité à une spirométrie par an et par patient concerné, afin d’assurer un usage pertinent et ciblé. Cette mesure, inscrite dans les orientations de santé publique, reconnaît enfin l’utilité de la spirométrie en soins de premier recours et valorise le rôle du médecin généraliste dans la prévention des maladies respiratoires chroniques.

Ressources utiles :